L’Ayurvéda, sagesse de la vie
Non, l’Ayurvéda n’est pas une “médecine indienne”.
Oui, tout comme le Yoga, elle a ses racines dans la vallée de l’Indus (Inde, Pakistan et les alentours).
Tout comme tant d’autres systèmes de médecine traditionnelle ancestraux en Afrique avec les chamans, dans le “Nouveau Monde” – Amériques avec les amérindiens, Australie avec les aborigènes – pour ne mentionner que quelques exemples de la variété des approches, les peuples indiens et pakistanis ont connu une forte colonisation qui, à travers une lobotomisation identitaire, est presque parvenue à anihiler des transmissions orales et écrites dans le domaine d’une santé holistique (bodymind) qui datent d’il y a au moins 10 000 ans.
Bien sûr, au moment d’obtenir l’indépendance, le peuple indien a revendiqué l’appartenance des systèmes de l’Ayurvéda et du Yoga à leur culture comme sciences rentrant dans ce qu’on appelle aujourd’hui “les sciences védiques”.
(petite note : les Vedas sont une compilation de textes originaires de cette vallée de l’Indus)
L’Ayurvéda, connexion avec la nature
Pour commencer à reconstituer la vraie valeur et les profonds messages que ces sciences nous transmettent, il faut d’abord clarifier 2 grands éléments :
1. Il s’agit d’une science transmise par l’expérimentation des apprentis de ce que leur maître a à leur transmettre ; on appelle ce système un “gurukulam”.
Cette expérimentation implique donc une part majoritaire de transmission orale, non encodée dans des textes écrits.
On peut donc en conclure qu’aujourd’hui nous n’avons accès qu’à une partie des connaissances existantes à l’époque, dont notamment la forte connexion avec la Nature dont tous ces peuples faisaient preuve.
2. En étudiant les textes, nous comprenons très vite que, bien avant de parler de traitements spécifiques, les sages ayant transmis ces connaissances élaborent de façon très détaillée les principes de vie qui régissent nos mondes, en commençant par le lien entre le Microcosmos (l’individuel) et le Macrocosmos (l’universel), et l’effet mirroir de l’un vers l’autre :
Yat Pinde Tat Brahmande
Ecrit retrouvé sur un manuscrit ancien yogique, les Puranas, datant d’au moins 8 000 ans : Tout ce qui est à l’extérieur de vous est en vous
Quod est superius est sicut quod inferius, et quod inferius est sicut quod est superius
Traduction en Latin d’un écrit retrouvé sur la Tablette Emeraude : Ce qui est en haut est semblable à ce qui est en bas, et ce qui est en bas est semblable à ce qui est en haut.
De plus, la construction de ces systèmes de santé se fait sur une base philosophique-scientifique appellée Samkhya qui décrit en profondeur la construction du monde. Donc bien avant de plonger dans l’étude de l’Ayurvéda, une étude approfondie de Samkhya est nécessaire pour comprendre précisement l’action des lois naturelles (physiques et quantiques – déjà connues à l’époque) sur notre corps et notre mental.
pour une ayurvéda locale
Bien évidemment, comme tout système de santé holistique et naturel qui comprend un fort lien des habitants avec leur environnement local (nourriture, climat, mais aussi conditions de vie), ces textes contiennent de nombreuses références aux différentes façons de prendre en charge les déséquilibres et la maladie, notamment à travers un herbalisme local.
Il serait inconcevable qu’un sage indien nous parle de la sève du bouleau qui n’existe pas en Inde, alors qu’il a à sa portée le triphala, mélange de 3 plantes abondantes en Inde.
Il est donc essentiel d’extrapôler – sans pour autant vouloir remplacer à tout coût – les mécanismes d’action derrière l’herbalisme indien par rapport aux ressources locales (si pas nationales, au moins européennes) : du bouleau au lieu du triphala, de l’huile d’olive au lieu de l’huile de sésame, de la verveine au lieu de l’ashwaghanda.
Faut-il éviter la consommation de ces herbes lointaines ? Non, pas du tout ; tout comme on peut utiliser de l’huile essentielle de sapin blanc locale pour fortifier notre système immunitaire, on peut également s’octroyer le plaisir d’alterner avec une bonne huile essentielle de ravintsara (je vous recommande chaleureusement Betsara, dans ce cas!). C’est exactement la même logique qui doit être menée avec l’approche ayurvédique : pourquoi ne pas tester une herbe plus lointaine, sans pour autant qu’elle remplace l’ingrédient local – et finalement, voir, grâce à l’expérimentation, l’effet que cette herbe lointaine a sur nous ! (on en revient donc au principe du gurukulam cité avant).
Car, soyons clairs, ce qui est ayurvédique est tout ce qui est adapté à ta constitution et à ton environnement et auquel ton corps réagit favorablement.
(petit rappel et exemplification : au nord de l’Inde, dans les montagnes à Shimla dans le Himachal Pradesh, le style de vie est bien différent de celui tropical de la côte de Kochi dans le Kerala, alors qu’on se trouve dans le même pays !)
pour une ayurvéda non politisée
Face à cette compréhension que j’ai développée tout au long de mes formations depuis 10 ans (et je continue !), il est donc triste de constater que le mot Ayurvéda est strictement associé à une réalité indienne.
Il est clair que, dans cette cacophonie, le gouvernement nationaliste de Modi a bien joué son coup :
– D’abord, avec la création d’un ministère indien dédié “Ayush” en novembre 2014.
– Ensuite, avec la création de la journée internationale du Yoga en décembre 2014, impulsée au sein des Nations Unies.
Coïncidence ? Pas du tout.
Comme riposte au colonialisme dont l’Inde a tant souffert, l’émergence d’un nationalisme indien malsain a vu le jour sans trop d’efforts.
L’Inde comme nouveau pays aux 1001 merveilles, qui guérit le monde de ses maux – grâce au tourisme de santé très peu écologique et éthique promu sans cesse par les gouvernements – national et fédéraux.
Mais une Inde qui oublie que dans le coeur de ces sages il y a 10 000 ans résidait un simple espoir : celui d’une Unité avec le Tout, d’une dissipation de l’illusion de séparation entre les êtres habitant cette planète et une santé qui repose sur des principes simples : le local, le rythme de vie en accord avec la nature (l’alternance entre le jour et la nuit, entre la saison chaude et la saison froide, le ralentissement nécessaire pour voir grandir des graines – au sens propre et figuré…)…
pour une ayurvéda en pleine conscience
Aujourd’hui, ces lignes ont été écrites par une colère et u ne frustration de voir que, encore et encore, on essaie de politiser de manière négative la santé (qui est le meilleur et a la clé de la réussite ?), de voir que tant de gens simplifie à outrance des sagesses anciennes avec un seul objetif : l’intérêt économique, y compris les relations commerciales de plus en plus tendues.
Aujourd’hui, malgré cette colère, je garde un espoir : pouvoir revenir aux sources et intégrer ces connaissances anciennes et profondes dans notre quotidien, peu importe l’ethnie, la couleur de peau, l’âge, le genre, le statut socio-économique, l’endroit où l’on vit sur cette planète.
Comme Satish Kumar le dit si bien :
La paix à l’intérieur de soi-même, la paix dans le monde (entre les peuples, les nations, les races et les religions) et la paix avec la nature.